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Le fonds Cultiver l’avenir de l’Afrique (CultivAf) est un partenariat de 35 millions de dollars canadiens sur dix ans entre le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et l’Australian Centre for International Agricultural Research (ACIAR). CultivAf finance la recherche appliquée visant à améliorer la sécurité alimentaire, la résilience et l’égalité des sexes en Afrique orientale et australe. 

Une ferme d’élevage de volailles et d’insectes de 20 acres, située dans la région semi-aride de Mtalani, dans le comté de Machakos, au Kenya, est au cœur d’un modèle d’économie circulaire : l’utilisation d’insectes qui se nourrissent de déchets pour résoudre le problème du coût prohibitif des aliments pour animaux.  

Lorsque Doreen Mbaya Ariwi, 40 ans, s’est lancée dans l’élevage de poulets en 2012, les hausses de prix incessantes, qui ont entraîné une perte d’exploitation, l’ont obligée à mettre la clé sous la porte après seulement deux ans. Cependant, en 2019, un ami l’a informée du projet Des aliments à base d’insectes pour la production avicole et piscicole (INSFEED), qui utilise la production d’insectes comme source de protéines bon marché et durable pour l’alimentation animale – et l’inspiration a pris le dessus. Géré par l’International Centre of Insect Physiology and Ecology (ICIPE), INSFEED fait partie du partenariat CultivAF entre le CRDI et l’ACIAR.  

Comme 57 000 autres agriculteurs kenyans, Ariwi a reçu 5 kg de mouches soldats noires et une formation à la production de la part d’ICIPE, ce qui lui a permis de se lancer de nouveau dans l’élevage de volailles en 2020. Dans sa nouvelle entreprise, Bugs Life Protein Limited Company, elle élève actuellement près de 7 000 poulets (de tous âges), ainsi que 3 000 plateaux de mouches soldats noires – qui passent de l’état d’œufs à celui d’adultes en quatre à cinq semaines – dans trois serres fournies par ICIPE.    

Ariwi élève suffisamment de mouches pour nourrir ses poulets et fournit également 220 kg de mouches soldats noires à une entreprise locale qui fabrique des aliments pour animaux à base d’insectes. Pour 1 kg de mouches soldats noires, Ariwi facture 320 shillings kenyans (environ 3,56 dollars canadiens).  

Les avantages des insectes 

L’alimentation animale représente aujourd’hui jusqu’à 70 % des coûts de production des agriculteurs kenyans, d’autant que le coût des sources de protéines d’origine végétale et animale, telles que le soja et la farine de poisson, augmente en raison d’une offre locale limitée et d’une demande élevée. Pour Ariwi, l’adoption de l’élevage de mouches soldats noires lui a permis de réduire la quantité d’aliments commerciaux qu’elle utilise. Depuis mai 2021, elle achète 300 sacs par mois, au lieu de 450, grâce à l’apport complémentaire en insectes, qu’elle donne directement aux poulets ou qu’elle mélange aux aliments conventionnels. Cela lui a permis de réaliser une économie de 30 %. 

En plus d’être abordables, les mouches soldats noires sont des insectes de recyclage des déchets très efficaces. Une fois les œufs pondus, Ariwi nourrit les larves avec des déchets, notamment des restes de pelures d’avocats provenant des marchés locaux et des écoles, et du fumier de poulet. En moyenne, les larves prennent 14 jours pour arriver à maturité, après quoi elles sont données aux poulets comme source de nourriture riche en protéines. « Il aurait été très difficile pour nous d’élever des poulets sans insectes », a expliqué Ariwi. « La méthode d’agriculture intégrée est remarquable. Les insectes et les poulets sont interdépendants : les mouches soldats noires se nourrissent de fumier de poulet et, une fois les insectes arrivés à maturité, nous les donnons aux poulets. Il n’y a aucun déchet, ce qui est l’une de nos missions à la ferme, car nous nous efforçons de créer des communautés durables et plus vertes », a-t-elle ajouté. 

« Les études à la ferme indiquent que lorsque les insectes sont donnés aux poulets, la consommation d’aliments est faible, car les niveaux d’énergie et de nutriments des insectes sont plus élevés que ceux des aliments commerciaux, ce qui se traduit par une réduction des coûts de production », a déclaré Chrysantus Tanga, chef du projet INSFEED et chercheur à l’ICIPE. « Il y a également une augmentation de 62 % de la production d’œufs et une durée prolongée de la production d’œufs », a-t-il ajouté. 

Ariwi a également noté que ses volailles ont pondu beaucoup plus d’œufs, dont la coquille et le jaune sont de meilleure qualité, depuis qu’elles sont passées à l’alimentation à base de mouches soldats noires. De plus, elle peut vendre ses volailles plus tôt, car elles atteignent le poids du marché plus rapidement que lorsqu’elle utilisait uniquement des aliments commerciaux. Elle les vend à 550 shillings kenyans (environ 6,32 dollars canadiens), contre 400 shillings kenyans (environ 4,59 dollars canadiens) il y a un an.

Entreprises inspirées par les insectes 

Avec l’aide des gouvernements nationaux et des comtés, du secteur privé et des coopératives agricoles, le projet a travaillé avec plus de 100 petites et moyennes entreprises (PME), qui produisent chacune jusqu’à trois tonnes de larves fraîches de mouches soldats noires par semaine. Parmi celles-ci, 75 % ont reçu une certification gouvernementale pour commencer la production et la commercialisation de masse de produits à base d’insectes. Selon Tanga, cela a permis de créer plus de 1 200 emplois au Kenya. 

« Nous formons les PME à la gestion de chaque étape de l’élevage d’insectes pour une meilleure productivité, puis nous donnons aux entreprises leur stock initial. Certaines ont produit les insectes pour leur propre usage, tandis que d’autres se sont associées à des entreprises pour les approvisionner », a déclaré Chrysantus Tanga, ajoutant que la chaîne de valeur de l’élevage d’insectes a également créé de nouvelles entreprises. Les jeunes et les femmes fabriquent également des « nids » d’insectes, dans lesquels les insectes se reproduisent, ainsi que des structures de serre à vendre aux agriculteurs. 

Malgré des possibilités commerciales évidentes et la demande de produits à base de mouches soldats noires, une plus grande production d’insectes est nécessaire pour répondre aux besoins d’approvisionnement des meuneries. Jusqu’à présent, les faibles volumes de mouches soldats noires ont entravé l’adoption du produit, les meuneries s’efforçant de garantir un approvisionnement constant et fiable. Les producteurs d’insectes sont également confrontés à des défis liés au coût élevé du séchage de grandes quantités d’insectes – jusqu’à 30 shillings kenyans (environ 0,34 dollar canadien) par kg – en raison de la disponibilité limitée des séchoirs. Les meuneries et autres fabricants de produits à base de mouches soldats noires préfèrent les insectes séchés, en raison de leur plus longue durée de conservation. 

 Mais Ariwi a appris à être innovante. En collaboration avec des artisans locaux, elle a créé une machine qui peut sécher 10 kg d’insectes à la fois. La machine utilise du charbon de bois et des briquettes au lieu de gros séchoirs électriques et, bien que le processus soit plus lent qu’avec les séchoirs traditionnels, elle affirme que son utilisation a réduit ses coûts.  

 L’avenir s’annonce radieux pour Ariwi, qui espère développer son projet d’élevage de poulets et d’insectes. Pour y parvenir, elle travaille avec ICIPE pour créer des cours payants afin de former les PME du comté de Machakos aux avantages de l’élevage d’insectes. Quatre salles de classe ont déjà été construites dans sa ferme pour faciliter les ateliers, qui combineront théorie et leçons pratiques. 

Image en haut : Georgina Smith | WRENMedia