Aller au contenu principal

Au-delà des interventions en cas de crise : jeter les bases de meilleurs systèmes de santé

 

Sue Godt

Administrateur(trice) de programme principal(e), CRDI

Les récentes nouvelles concernant les éclosions de virus Ebola en République démocratique du Congo ont fait naître le spectre d’une réapparition de l’épidémie de 2013 à 2016 en Afrique de l’Ouest, où plus de 11 300 personnes ont perdu la vie aux mains de cette maladie en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Il est toutefois frappant de constater que les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis estiment que 10 600 décès sont attribuables à des cas de VIH, de tuberculose et de malaria non traités. Les faibles systèmes de santé actuels qui tentent de gérer l’épidémie n’ont pas été en mesure de fournir des services de santé continus.

Renforcer les systèmes

En tant que spécialiste de programmes principal depuis dix ans au CRDI, j’ai eu le privilège de travailler avec un groupe de chercheurs remarquable qui collaborait étroitement avec des communautés et des décideurs africains pour trouver des moyens durables d’améliorer les systèmes de santé. Au CRDI, nous reconnaissons que c’est la santé de tous qui s’améliorera si les collectivités et les pays réussissent à surmonter les défis uniques pour améliorer la santé des populations vulnérables, c’est-à-dire très souvent les femmes, les enfants et les adolescents.

Bien qu’une grande partie de cette recherche financée par le CRDI, portant sur quelque 165 projets de systèmes de santé à travers le monde, ait débouché sur des améliorations concrètes, elle a également montré qu’il n’existait pas de lignes directrices pour améliorer les systèmes de santé. Les données probantes font plutôt ressortir trois éléments essentiels : des données exactes et exhaustives; des soins abordables et la responsabilisation.

Prêter attention aux données probantes

Des données fiables et des systèmes d’information sur la santé efficaces sont essentiels pour trouver les personnes vulnérables et les causes profondes de leur mauvaise santé. Dans de nombreux pays, cependant, le manque de données et la faiblesse des systèmes d’information rendent les groupes marginalisés invisibles.

Les recherches que nous avons soutenues ont révélé à quel point l’enregistrement précis des causes de décès des femmes favorise une planification qui répond aux besoins réels.

On en trouve un exemple frappant en Inde, où des chercheurs financés par le CRDI à l’Indian Institute of Management Bangalore ont constaté que les rapports officiels sur les causes des décès maternels ignoraient souvent les problèmes de santé sous-jacents et évitables comme l’hypertension et l’anémie. Ils ont également constaté que les soins de santé des femmes pendant la grossesse et l’accouchement étaient systématiquement négligés, et que les professionnels de la santé avaient tendance à masquer leurs propres échecs lorsqu’ils remplissaient les rapports (comme le fait d’échouer à reconnaître une urgence).

Pour donner suite aux résultats, l’équipe a collaboré avec des parties prenantes afin d’élaborer des outils de diagnostic, de détecter l’anémie et d’autres risques de santé, de développer du matériel de formation et de renforcer les compétences des travailleurs de la santé. Les résultats ont amené le gouvernement de l’Inde à mettre en place de nouvelles lignes directrices pour examiner les décès maternels.

De même, le projet Données probantes et systèmes de santé au Nigeria (projet NEHSI) a utilisé les informations provenant des systèmes de surveillance communautaire pour déterminer certaines causes moins reconnues de maladies et de décès maternels dans deux états. Ce projet a révélé comment le statut familial et social inférieur des femmes nuisait à leur santé et les privait de soins. Ses membres ont partagé les données avec les communautés et les gouvernements des états pour éclairer les politiques et les pratiques. Tout comme en Inde, les groupes communautaires ont contribué à changer d’attitude à l’égard des femmes enceintes et de leurs soins.

Ces exemples démontrent qu’à moins de nous attaquer aux causes profondes de la mauvaise santé, y compris des facteurs comme le sexe, la pauvreté, le manque d’éducation et la marginalisation sociale, nous serons toujours confrontés à ses symptômes.

Media
L’infirmière Mary Ogun prend les signes vitaux de clientes enceintes au Centre de santé primaire de la communauté d'Ewatto, dans l'État d'Edo, au Nigéria.
CRDI / Andrew Esiebo

Donner l’élan pour des soins de santé abordables

L’un des plus grands obstacles à l’amélioration de la santé est le coût de la prestation des soins et de l’accès à ces soins. Selon une estimation réalisée par l’Organisation mondiale de la Santé, plus de 100 millions de personnes par année s’enlisent dans la pauvreté parce qu’elles doivent engager des frais médicaux astronomiques. Au fil des ans, les gouvernements ont adopté divers moyens pour étendre les soins de santé à ceux qui n’en ont pas les moyens financiers. Plus récemment, ils ont subventionné certains services et certains groupes, notamment les femmes enceintes et les jeunes enfants. D’autres gouvernements mettent en oeuvre divers régimes d’assurance.

Les résultats sont toutefois mitigés. Par exemple, des recherches menées en Afrique de l’Ouest ont démontré que les subventions visant à fournir des soins de santé destinés aux mères et aux enfants gratuits ont permis d’accroître l’utilisation des services. Cependant, une demande accrue de ces services a entraîné une baisse de leur qualité parce que le système de santé n’a pas été renforcé en même temps. En Inde, un régime d’assurance novateur et gratuit dans l’état d’Andhra Pradesh a permis aux pauvres d’accéder plus facilement à des soins spécialisés. Toutefois, les services de santé destinés aux mères et aux enfants restaient inabordables pour beaucoup de personnes, car ce régime ne couvrait pas les soins de santé publique de base et les coûts indirects (comme le transport).

Ces résultats de recherche, tout comme d’autres, ont révélé que les maigres subventions ou les régimes d’assurance partielle ne constituent pas la meilleure solution. Trois réseaux de financement de la santé soutenus par le CRDI en Afrique, en Asie et en Amérique latine ont uni leurs forces pour créer le Réseau mondial pour l’équité en santé et défendre cette cause sur la scène internationale. Leurs efforts ont contribué à inclure la couverture universelle en matière de santé dans l’objectif 3 des objectifs de développement durable de l’ONU.

Obliger les autorités à rendre des comptes

Pour que les systèmes de santé soient efficaces et équitables, leurs responsables doivent également rendre des comptes aux personnes qu’ils servent.

Il faut commencer par la base. Au Guatemala, une équipe composée de chercheurs, de décideurs et d’organisations de la société civile a permis à des communautés autochtones marginalisées de s’attaquer aux inégalités, à la discrimination raciale et aux autres obstacles auxquels elles sont confrontées dans l’exercice de leur droit à la santé.

En informant et en éduquant ces communautés, en élaborant des plans pour accroître l’accès et en effectuant le suivi, l’équipe de recherche a effectivement changé la dynamique du pouvoir local, permettant ainsi aux membres de la communauté de surmonter les préjugés et l’indifférence. En plus d’avoir négocié l’amélioration des services de santé, les représentants de la santé communautaire ont établi un climat de confiance entre les communautés, les travailleurs de la santé locaux et les autorités sanitaires.

Ce ne sont là que quelques exemples de recherches financées et de leçons tirées de la recherche sur les systèmes de santé soutenue par le CRDI qui sont résumées dans Une vie saine pour les femmes et les enfants vulnérables, un livre que j’ai coécrit avec trois experts mondiaux dans le domaine. Le livre démontre clairement qu’il est très difficile pour un pays de mettre fin au cycle de la maladie et de la pauvreté sans un système de santé fonctionnel. Il révèle également comment les communautés locales, les chercheurs et les décideurs détiennent la clé pour apporter des améliorations durables.

Apprenez-en davantage sur le programme Santé des mères et des enfants du CRDI.