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Le rôle de la technologie numérique dans la santé pour tous

 
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Chaitali Sinha

Spécialiste de programme principale, CRDI

L’historique Déclaration d’Alma-Ata sur la « santé pour tous » a marqué son 40e anniversaire en 2018. Cet important jalon de la santé publique a accordé la priorité à la santé en tant que droit de la personne et a souligné l’importance de la participation communautaire pour renforcer les soins de santé primaires pour tous.

Lors du cinquième Symposium mondial sur la recherche sur les systèmes de santé en octobre, de nombreuses discussions ont eu lieu sur la pertinence de la Déclaration d’Alma-Ata aujourd’hui. Comment la Déclaration de 1978 se compare-t-elle à la vision actuelle des objectifs de développement durable (ODD) de « ne laisser personne pour compte » ? Qu’est-ce qui a changé et qui est resté inchangé en matière de santé mondiale ?

Parmi les changements dignes de mention qui viennent à l’esprit, mentionnons le rôle du gouvernement, la technologie des communications et l’accès à l’information. La propagation rapide des téléphones cellulaires et des technologies numériques, l’augmentation des sources de données produites par les citoyens, les nouvelles vulnérabilités résultant des conflits et des déplacements, et le rôle changeant des gouvernements et des acteurs non étatiques transforment la façon dont les services de santé sont fournis et accessibles. Ce qui n’a pas changé, c’est la nature politisée de la santé, l’inégalité de l’accès aux ressources et aux services et les disparités croissantes en matière de santé au sein des pays et entre les pays.

Je me demande comment nous pouvons tirer le meilleur parti des nouvelles innovations en vue de ne laisser personne pour compte. Plus précisément, l’utilisation de la technologie numérique en santé peut-elle aider à surmonter les défis persistants ? Et si tel est le cas, de quelle manière ? Un nouveau supplément libre accès, évalué par des pairs et intitulé «Advancing health equity and gender equality : Digital health in the Global South», publié dans le Journal of Public Health, apporte un peu d’eau au moulin pour répondre à cette question, en utilisant les résultats de cinq années de recherche appuyée par le CRDI.

Promesse et pièges de la santé numérique

La santé numérique, y compris la cybersanté et la santé mobile, n’existait pas lorsque la Déclaration d’Alma-Ata a été signée en 1978. En revanche, il est difficile aujourd’hui quelque part dans le monde sans rencontrer une forme quelconque de santé numérique. Même dans des contextes où il y a de graves pénuries de main-d’oeuvre en santé et de grandes distances à parcourir, les travailleurs de la santé utilisent des téléphones cellulaires pour communiquer des données sur les éclosions de maladies, prendre des décisions éclairées et présenter aux patients des renseignements à jour qui sauvent des vies, à leur portée.

La santé numérique a ouvert de vastes possibilités pour surmonter les distances et les obstacles temporels, améliorer la qualité et l’utilisation des données, et réduire la fragmentation grâce à une plus grande intégration opérationnelle des systèmes de santé, connue sous le nom d’interopérabilité. À l’inverse, elle a aussi alourdi la charge de travail des travailleurs de la santé de première ligne, détourné des ressources d’autres fonctions et entraîné un accroissement des chevauchements découlant de la création de nouveaux systèmes numériques fonctionnant en parallèle avec des systèmes sur papier.

Comme toute ressource, les technologies numériques sont fortement contestées et peuvent présenter de grandes possibilités ou des dommages importants. Elles sont façonnées par les structures, les systèmes et les pratiques sociaux existants, qu’elles ont également façonnés à leur tour. C’est pourquoi toute étude sur le rôle de la technologie dans la santé devrait suivre l’esprit d’Alma Ata en étudiant leur effet, en particulier dans les contextes où les ressources se font rares.

Dans cette optique, le CRDI a reconnu qu’il était nécessaire et opportun de comprendre les rapports de pouvoir sous-jacents, y compris les relations entre les sexes, la gouvernance et les iniquités en santé dans le domaine de la santé numérique, du point de vue des pays en développement.

Quarante ans plus tard, qu’avons-nous appris ?

Le soutien du CRDI à la recherche sur la santé numérique du milieu des années 1990 à 2010 (en anglais seulement) était axé sur le renforcement de la capacité de recherche; notamment appuyer les innovations techniques, y compris certains des premiers travaux sur l’interopérabilité dans les pays en développement; promouvoir les changements de comportement chez les travailleurs de la santé et les bénéficiaires; améliorer la prévention et le traitement des maladies; et informer les politiques de santé numériques naissantes.

Alors que la portée et la sophistication de la technologie numérique continuaient de se répandre, le CRDI a appuyé l’exploration des innovations sociales et techniques de 2013 à 2017. Ce groupe de sept projets actuellement présenté dans le supplément du Journal of Public Health – au Bangladesh, au Burkina Faso, en Éthiopie, au Kenya, au Liban, au Pérou et au Vietnam – a exploré la recherche sur la mise en oeuvre de la santé numérique avec une forte participation de la communauté et un leadership solide pour améliorer la qualité des soins pour tous.

Remettant en cause l’idée selon laquelle tout le monde récoltera les mêmes avantages lorsque la santé numérique sera introduite dans les communautés marginalisées, ces projets ont exploré des concepts comme la qualité, le coût raisonnable et le changement transformateur liés à la sexospécificité qui englobait les niveaux de revenu, les groupes d’âge, les ethnies, les obstacles linguistiques, les populations de réfugiés et les régions géographiques.

A Southern perspective on digital health

Point de vue des pays du Sud sur la santé numérique

  • La santé numérique peut exercer une influence positive sur l’équité en santé. Au Burkina Faso, les femmes enceintes et les personnes vivant avec le VIH ont montré une amélioration impressionnante de leur état de santé lorsqu’elles ont reçu des messages de santé personnalisés envoyés par téléphone cellulaire dans leur langue.
  • L’analyse comparative entre les sexospécificités et l’analyse de la dynamique de pouvoir sont essentielles. Au Vietnam, les femmes appartenant à une minorité ethnique vivant dans une province montagneuse éloignée ont amélioré leurs comportements en matière de santé en raison de l’information ciblée qu’elles ont reçue sur téléphone cellulaire et ont démontré une plus grande demande de collaboration avec les travailleurs de la santé afin d’obtenir des connaissances et des services supplémentaires.
  • La santé numérique peut être utilisée pour renforcer la responsabilisation vers le haut et vers le bas. En Éthiopie, la responsabilisation vers le haut et vers le bas d’un cadre entièrement féminin d’agents de vulgarisation sanitaire aux communautés, ainsi que leurs superviseurs, a été améliorée grâce à la technologie mobile.

En 1978, il aurait été difficile d’imaginer l’état de la technologie numérique et son influence aujourd’hui, mais la Déclaration d’Alma-Ata a jeté des bases solides pour la santé publique. Grâce aux objectifs de développement durable et à la Déclaration d’Astana, signée en octobre 2018 lors d’une réunion à Astana (anciennement Alma Ata), au Kazakhstan, il y a un engagement renouvelé à l’égard du principe de la santé pour tous.

Malgré une plus grande utilisation de la technologie numérique, en particulier parmi les populations les plus pauvres, davantage de recherches sont nécessaires sous l’angle des relations de pouvoir pour comprendre qui en bénéficie à court et à long terme. Sans cela, les objectifs de développement durable et ses idéaux communs avec Alma Ata ne seront pas atteints.

Chaitali Sinha est une spécialiste de programme principale au sein du programme Santé des mères et des enfants du CRDI.