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Renforcer l’inclusion financière des femmes : Une situation gagnante pour les femmes et les institutions financières

 
Jemimah Njuki

Jemimah Njuki

Spécialiste de programme principale, CRDI

Martha Melesse

Administrateur(trice) de programme principal(e), CRDI

Rose, femme d’affaires avisée et déterminée, dirige une exploitation de table banking (banque sur table, une variante de la tontine) au coeur de Nairobi. Extension des traditionnelles associations d’épargne et de prêt présentes dans les villages, le table banking est de plus en plus populaire auprès des femmes pauvres du Kenya. Chaque mois, elles se réunissent et versent un certain montant d’argent. Les membres du groupe empruntent ensuite de l’argent à un taux d’intérêt convenu, souvent autour de 10%, tandis que les institutions financières exigent plus de 20%. S’il n’est pas emprunté, l’argent est conservé à la maison, à l’abri dans une boîte rangée sous un lit ou dans un placard. D’après Rose, les banques perçoivent des intérêts en prêtant de l’argent aux gens pauvres et ces derniers profitent peu de ces intérêts. Elle et ses amies préfèrent garder leur argent pour elles et répartir les intérêts entre les membres.

Malgré la prolifération de services bancaires mobiles en Afrique subsaharienne, qui ont fait des progrès impressionnants auprès de ceux qui n’ont qu’un accès limité, voire aucun accès, aux services financiers structurés, nombreux sont ceux qui, à l’instar de Rose et de ses amies, continuent à fonctionner en marge. Selon le rapport Global Findex de la Banque Mondiale, 1,1 milliard de femmes adultes n’ont pas de compte en banque. Dans le monde, il existe une inégalité persistante entre les sexes de neuf points de pourcentage.

Ces systèmes d’épargne non structurés (quoique incroyablement ingénieux) représentent une perte pour les institutions financières et les femmes. Les institutions financières n’ont pas accès à un large réseau de clients potentiels prêts à épargner leur argent. En outre, les femmes comme Rose sont privées de la possibilité de faire partie d’un réseau structuré qui présente des avantages supplémentaires, comme une assurance et des prêts d’investissement plus importants.

Ces dispositions non structurées comportent aussi des risques. Dans le cas de Rose et de ses amies, l’argent provenant des contributions des membres qui n’est pas emprunté est conservé par les membres du groupe, ce qui les expose au risque de vol. Lors de notre entretien, Rose a expliqué qu’elles y pensaient constamment et qu’elles avaient donc imaginé des solutions pour gérer ce risque. Bien qu’elles gardent l’emplacement de leur réunion secret et que l’argent change régulièrement de maison, une seule personne peu fiable ou désespérée pourrait faire en sorte que le système s’effondre et que des années de dur labeur et d’épargne soient balayées. Cela s’est déjà produit. Le groupe d’épargne et de prêt d’un village ougandais a perdu l’équivalent de 2100 CAD à la suite d’un vol chez sa trésorière.

Nous savons qu’un manque de confiance dans les institutions financières représente un obstacle difficile à surmonter. Il est attribuable à la discrimination que subissent les femmes lors de l’accès aux services, à la honte associée à la saisie des biens en cas de défaut de paiement et au faible taux d’alphabétisation qui influe sur leur confiance lorsqu’elles traitent avec les banques. Rose a récemment parlé de la honte et de l’embarras ressentis par certains de ses voisins lorsqu’ils ont perdu des effets mobiliers après s’être retrouvés dans l’impossibilité de rembourser des prêts à des banques commerciales dans les délais prévus.

Heureusement, il est possible de combler ces écarts entre les sexes et de faire de l’inclusion financière une réalité pour les femmes. Mais cela ne peut se produire que si Rose et les millions de femmes dans sa situation entrent en scène en façonnant les politiques et les interventions.

Les institutions financières doivent mieux comprendre les besoins des femmes et élaborer des produits pour elles. Les études ont montré que lorsque les femmes obtiennent du crédit, elles accordent la priorité aux responsabilités familiales telles que l’éducation des enfants et le logement. Les hommes, quant à eux, privilégient les dépenses professionnelles et les investissements importants comme les terres. Les femmes sont plus susceptibles de travailler dans un secteur non structuré leur offrant un revenu plus faible et moins stable, ainsi que d’interrompre souvent leurs activités pour assumer des responsabilités familiales (prendre soin d’enfants malades ou de personnes âgées, par exemple). Les modalités de remboursement des prêts doivent être plus souples pour tenir compte des revenus plus faibles et moins stables des femmes.

L’investissement dans des innovations financières qui travaillent avec des réseaux non structurés de manière à accroître les avantages et à réduire le risque peut aider des millions de femmes à acquérir une meilleure sécurité financière et à accéder à d’autres services financiers tels que l’assurance, les services bancaires mobiles, etc. Par exemple, un programme dirigé par CARE International a collaboré avec plus de 5000 groupes d’épargne non structurés pour les associer à des banques et élaborer des produits répondant à leurs besoins. L’un de ces produits comportait des frais inférieurs sur les nouveaux comptes pour encourager les groupes à placer leurs économies à la banque. Le fait de concevoir des produits et des services sur mesure répondant à leurs besoins particuliers pourrait encourager un plus grand nombre de ces groupes à profiter de services financiers structurés.

Enfin, les institutions financières et autres organismes qui travaillent avec les femmes doivent s’attaquer aux obstacles qui empêchent ces femmes de profiter de l’inclusion financière, qu’il s’agisse des normes sexospécifiques qui minent la capacité des femmes à accéder à des services financiers de plein droit, du manque de littératie financière ou du manque de renseignements. Par exemple, en s’attaquant aux inégalités entre les sexes en matière de littératie financière et en liant l’utilisation des comptes d’épargne à la répartition des subventions de transfert social du gouvernement, un projet soutenu par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) a permis de mettre en relation deux millions de femmes pauvres avec des institutions financières en Amérique latine. Ainsi, les épargnes des femmes ont augmenté et leur ont permis d’investir dans des biens tels que du bétail.

En fin de compte, l’inclusion financière des femmes ne consiste pas à s’assurer que les femmes sont susceptibles de bénéficier d’un concours financier, mais bien à faire en sorte que les services, les produits et les systèmes financiers soient axés sur les femmes. C’est ainsi que les institutions financières gagneront la confiance de millions de femmes comme Rose et ses clientes.

Cette lettre ouverte a été publiée pour la première fois sur le blogue Business Fights Poverty le 4 octobre 2017.

Jemimah Njuki est spécialiste de programme principale au CRDI et membre du programme New Voices de l’Institut Aspen.

Martha Melesse est spécialiste de programme principale au sein du programme Emploi et croissance du CRDI.