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Pouvoir, sexospécificité et égalité dans une période de changements mondiaux

 
23 mai 2019

Fait partie d’une série d’articles sur des solutions favorables à l’équité entre les sexes

Le monde est sur le point d’entrer dans une ère de changements sans précédent à l’échelle mondiale. Des changements socioéconomiques et environnementaux de toutes sortes ont une incidence négative sur certaines des régions les plus vulnérables du globe.

Par exemple, dans les régions semi-arides du Kenya, les pasteurs et les pasteures dépendent de leur bétail. Ce bétail a lui-même besoin qu’on le mène jusqu’à un pâturage, qu’on le trait et qu’on l’abreuve, alors que l’eau se fait de plus en plus rare en raison de la sécheresse.

Nitya Rao, une professeure spécialisée en sexospécificité et en développement à l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni, explique que deux choix s’offrent aux petits éleveurs de bétail quand les sources d’eau se tarissent. « Ils peuvent abreuver leur bétail au village. Dans ce cas, ils utilisent les mêmes points d’eau que les femmes qui ont besoin d’eau à des fins domestiques », dit-elle. Dans ce cas, les femmes sont souvent les dernières à pouvoir se servir aux sources d’eau habituelles.

Sinon, les hommes, qui sont considérés comme propriétaires du bétail, peuvent quitter le village avec leurs bêtes à la recherche d’eau, ajoute Nitya Rao. Dans ce cas, les femmes ne peuvent plus traire les animaux tous les jours et vendre le lait pour en tirer un revenu familial. Cela a un effet d’entraînement et oblige les femmes à trouver d’autres moyens de subsistance. Dans le cadre de ses travaux de recherche, Nitya Rao a déterminé que le ménage, la lessive et d’autres tâches ménagères constituent des occupations sécuritaires. Les femmes qui doivent se tourner vers le commerce du sexe font quant à elles face à des risques beaucoup plus élevés.

Nitya Rao fait partie du consortium de plus de 100 chercheurs issus de huit pays et de dix-sept institutions appelé Adaptation at Scale in Semi-Arid Regions (Adaptation à différentes échelles dans les régions semi-arides) ou ASSAR. Il s’agit d’un des quatre consortiums de l’ Initiative de recherche concertée sur l’adaptation en Afrique et en Asie (IRCAAA). Les chercheurs qui participent à l’IRCAAA et à d’autres projets soutenus par le CRDI cherchent à accélérer l’adaptation aux changements climatiques et à améliorer la sécurité alimentaire d’une manière vraiment représentative et équitable, en incluant les personnes les plus marginalisées.

Pourtant, de nombreux groupes, en particulier les femmes, les filles et les peuples autochtones, souffrent de manière disproportionnée du stress lié aux changements climatiques, de l’insécurité alimentaire et de problèmes connexes. Des équipes de recherche se penchent sur certaines de ces réalités en intégrant des approches axées sur la sexospécificité à la justice et au dialogue communautaire. Il en découle des solutions qui aident les femmes et les filles, augmentent la résilience communautaire, transforment les systèmes alimentaires et améliorent les moyens de subsistance des personnes vulnérables de l’hémisphère sud.

Redéfinir la résilience en y incluant l’égalité entre les sexes

Lors d’un groupe de discussion organisé par le CRDI en février 2019, Nitya Rao a expliqué qu’une tempête parfaite s’abat sur de nombreuses régions d’Afrique et d’Asie. Les pressions environnementales et l’adaptation climatique se conjuguent pour pousser des communautés qui étaient stables à migrer à la recherche de solutions.

Les recherches de l’ASSAR sur les relations entre les sexes montrent que les femmes doivent trouver une multitude de moyens de subsistance différents, et qu’elles en paient souvent le prix. Selon Nitya Rao, l’État est également très aveugle à l’égard de ce genre d’inégalités de pouvoir. Le manque de services aux enfants, de soins de santé et d’éducation sur la santé sexuelle et reproductive sont de nouvelles crises qui découlent de la sécheresse causée par le climat, selon l’ASSAR.

Un autre chercheur de l’ASSAR, Daniel Morchain, a parlé de donner l’occasion aux membres d’une communauté d’avoir l’impression de pouvoir participer au débat sur l’adaptation au climat et aider les chercheurs à redéfinir ce qu’est la résilience. « La résilience est traditionnellement une question de risques physiques, mais petit à petit, elle porte davantage sur les droits et l’égalité des sexes », dit-il.

Pour démêler les tensions et les liens entre le climat, la sexospécificité, l’équité sociale et le pouvoir, il faut parfois une démarche plus créative, selon Morchain. En Afrique du Sud, il a récemment employé la technique dramatique communément appelée « théâtre des opprimés » pour exposer différents points de vue sur l’adaptation au climat. Dans un canton en proie à la pauvreté et à la violence, cette technique a conduit les femmes à rejeter la proposition d’une grande banque de développement de refaire la toiture des maisons comme solution globale à l’excès de chaleur. Les femmes ont plutôt demandé qu’on tienne des consultations avec les parties prenantes de leur communauté dans le but de trouver des mesures efficaces, adéquates et pertinentes du point de vue de la réalité climatique locale.

Reconnaître le rôle des femmes dans l’agriculture

Dans les régions rurales du Népal, un sondage réalisé par Himalayan Adaptation, Water and Resilience (HI-AWARE), un autre consortium de l’IRCAAA, a révélé que plus de 85 % des résidents étaient témoins de changements à l’agriculture dus aux changements climatiques. Les hommes s’adaptent souvent aux changements climatiques en déménageant dans d’autres parties du Népal ou en émigrant à l’étranger, à la recherche d’un salaire décent. La plupart des femmes sont restées chez elles.

La migration causée par le climat a des effets complexes et significatifs sur les ménages dirigés par des femmes, dit Amina Maharjan, une spécialiste des migrations du International Center for Integrated Mountain Development qui a passé les quatre dernières années à faire de la recherche pour HI-AWARE. « Aujourd’hui, c’est la femme qui doit être le coeur et le cerveau de la famille. Son fardeau s’alourdit sans cesse, mais personne ne lui vient en aide », ajoute-t-elle en citant l’exemple du programme d’aide agricole du Népal, qui n’a pas su s’adapter à la réalité des femmes agricultrices en leur offrant le soutien qui était réservé aux hommes. « Lorsque les femmes émigrent, c’est à ce moment que les terres sont abandonnées », nous avertit-elle.

Amina Maharjan, qui a elle aussi participé au groupe de discussion organisé par le CRDI en février, a parlé des choix difficiles que la communauté de recherche a dû faire quand est venu le temps de montrer aux femmes comment cultiver des légumes hors saison en milieu urbain. Le projet a été un succès, car le travail des femmes a rapidement généré des revenus pour le ménage.

« Soudainement, ce sont les maris qui se sont mis à assister à toutes les réunions », dit-elle. Les maris ont expliqué aux animateurs du projet que leurs femmes étaient à la maison. « Avec l’augmentation du revenu, c’est désormais le rôle des hommes. Ça nous a causé des ennuis. Nous avons dû leur dire que nous ne formons que les membres [féminins], et non leurs conjoints et enfants. Nous avons dû nous affirmer. »

Transformer les rapports de force pour la sécurité alimentaire

Au Kenya, un projet d’une durée de 30 mois dirigé par CARE Canada visait à démontrer que les changements dans les rapports de force entre les sexes peuvent avoir une incidence sur la sécurité alimentaire des ménages. « Nous devons reconnaître que le développement des moyens d’intervention et des compétences ne règle pas tous les problèmes », dit Maureen Kemunto Miruka, qui participait à l’événement organisé par le CRDI en tant que représentante de CARE USA.

Dans le passé, les approches de développement étaient souvent axées sur l’amélioration des connaissances qu’ont les femmes du marché et sur l’accès au crédit. Pour résoudre les problèmes structurels et systémiques concernant la sexospécificité et le pouvoir, Maureen Kemunto Miruka fait la promotion d’approches qui transforment les rapports de force entre les sexes.

Des hommes et des femmes de près de 500 ménages à Kinangop, à 100 km au nord de Nairobi, se sont mis à discuter de la sexospécificité et de questions comme l’agriculture, les répercussions des changements climatiques et la sécurité alimentaire. « Nous invitons des hommes et des femmes à participer à des espaces de réflexion et à des dialogues sur la sexospécificité, en utilisant certains outils pour les amener à réfléchir aux normes sociales, dit-elle.

On a tendance à croire, à tort, que les changements sociaux prennent beaucoup de temps, mais un an après la mise en oeuvre du programme, nous avons constaté des changements importants dans le partage de la charge de travail et les soins donnés par les hommes. Ce que nous espérons voir au bout de trois ans, ce sont davantage de changements systémiques, comme des hommes qui attribuent des terres productives à leurs épouses, et qui considèrent réellement ces dernières comme des partenaires.

Un objectif important du dialogue entre les hommes et les femmes, ajoute-t-elle, est que les hommes considèrent l’autonomisation des femmes non pas comme une menace pour leur masculinité, mais plutôt comme un avantage pour le ménage. »

Nitya Rao, Daniel Morchain, Amina Maharjan et Maureen Kemunto Miruka ont participé à la série de conférences « Solutions pour l’égalité des sexes ». Elles sont intervenues lors du débat d’experts sur les structures de pouvoir dans le contexte des changements mondiaux, le 6 février 2019 à Ottawa, au Canada. Le cycle de conférences dresse un compte rendu des efforts déployés par le CRDI pour appuyer l’égalité sexospécifique dans le monde en prévision de la conférence internationale Women Deliver, qui se tiendra à Vancouver du 3 au 6 juin 2019.